Association Française des Assistants Réalisateurs de fiction

Une défaite de la pensée !

18 juin 2013 | par AFAR webmasters
afar.cc/1537

Par Jean-Pierre Thorn, cinéaste


J’ai la tristesse de vous dire que j’ai bien lu dans votre texte « Pour sortir de l’impasse » les propositions de différents niveaux d’applications des Conventions Collectives Cinéma selon les paliers de financements des films (de 1 à 6). J’avoue être stupéfait d’une telle régression néolibérale de la pensée !
Comme si le niveau des minimas sociaux devait être conditionné par le niveau d’inscription d’un film dans le marché ! C’est ahurissant !!! Alors comme ça les cinéastes « du milieu » (comme ils aiment se nommer), qui font des films qualifiés par le système d’ « Art et Essai porteurs » (*terme sinistre correspondant de fait à « un pieds dans les multiplexes, un pieds dans les salles AFCAE ») auraient SEULS la chance de bénéficier des minima sociaux conventionnels (voire à moins 20 %) ?!

Je signale au passage que ce n’est pas seulement d’une Convention API dont il s’agit mais d’une convention signée par l’API et 7 syndicats de techniciens, réalisateurs et ouvriers (sauf le MEDEF et la CFDT dont on connaît la trahison durant la lutte des intermittents !) tandis que les cinéastes « de la marge » (qui faisons des films à moins d’UN million d’euros !) seraient tout bonnement renvoyés au « régime général » (le SMIC et 35H) ?!
J’hallucine effectivement !

Quel mépris pour les petits films « libres » qui sortent des clous du système, qui ont une diffusion étranglée par le système de domination des grands circuits d’exploitation et des télés !!! Vous avez donc oubliés Godard et sa réflexion sur le lien indéfectible entre la marge et le centre car « c’est la marge qui tient la page » ?!

Moi qui espérais ENFIN une CONVENTION COLLECTIVE CINEMA pour résister à mes producteurs, négocier avec eux dans un meilleur rapport de force en quantifiant ce que je mettrai en participation pour arriver à faire mes films : avec, DE CE FAIT, un minimum de retour sur les recettes ultérieures (au lieu des cacahuètes que les producteurs nous octroient : les 0,5 % ou 2 % des RNPP dont on ne voit JAMAIS la couleur !)
Je réclame, oui, des minima sociaux AUSSI pour les films à moins d’UN Million d’euros : « À TRAVAIL EGAL, SALAIRE EGAL ! ». Toute ma vie je me suis battu pour défendre ce principe : à l’usine comme dans le cinéma !

Puis-je savoir ce qui différencie la nature de notre travail de ceux des Klapisch, Jaoui, Guédiguian, Ferran, Ruggia, Corsini et Cie ? Sauf qu’eux ne mettent peut-être pas 5 années entre deux films (voire 10 à monter leurs financements !) et qu’ils perçoivent des droits d’auteurs justifiés pour le passage de leurs films à la télévision nationale (Ce dont la plupart du temps nous ne pouvons bénéficier vu le rejet des grands diffuseurs après un échec commercial en salles !)

Mais vous, en bas de l’échelle du « marché », vous qui luttez pour survivre économiquement (à moins d’avoir de l’héritage personnel ou des « papas mamans qui banquent ! ») : comment comprendre que vous alliez mêler vos voix à celles des Missonnier et Cie (qui produisent les Astérix sur financés du cinéma français) ?! Je comprends parfaitement que ces producteurs là veuillent empêcher toutes Conventions Collectives pour défendre leurs profits ! (Et tient, c’est curieux : je n’ai jamais vu apparaître le mot « PROFIT » dans la littérature alambiquée pour « sortir de l’impasse » ?! Un hasard ?!). Mais vous ?! Quel est votre intérêt ?

Franchement, les ami(e)s, je ne vous comprends plus : vous êtes surexploités par vos producteurs, qui ne cessent de nous demander des sacrifices incroyables (à moins 50 % parfois !) pour arriver à faire vos films carrément « à compte d’auteur », vous n’arrêtez pas de râler contre eux qui ne vous donnent pas les moyens de les faire comme vous les rêvez… Et là, quand ENFIN, grâce à l’action collective des syndicats ouvriers et techniciens, des pétitions des décorateurs (5 000 signatures), des associations de chefs opérateurs, des monteuses associées... nous AVONS ENFIN (POUR LA PREMIERE FOIS DEPUIS 20 ANS) une reconnaissance conventionnelle de la fonction de réalisateur et un salaire minimum, vous vous tirez une balle dans le pied en vous laissant manipuler comme quoi vous ne pourriez plus faire vos films !

Mais est-ce que vous avez constatés moins de court-métrage après le conflit des intermittents quand il y a eu nécessité pour les productions de payer les salaires des techniciens ?! Et, si vous voulez continuer à faire des films « À COMPTE D’AUTEUR » (« de guérilla » comme certains d’entre vous le formulent !), qui pourra vous en empêcher ?
Ça continuera comme avant…

Par contre ce qui va changer c’est que les producteurs vont désormais être obligés, pour sauver leurs peaux, de lutter à nos côtés contre le sous financement de la création : imposer des règles de régulations publiques pour l’accès à TOUS les soutiens sélectifs ET automatiques (en production, distribution et exploitation), imposer des quotas de diversité aux chaînes de service public, imposer une transparence des retours de recettes (par exemple en créant un organisme au CNC chargé de vérifier les comptes pour la participation des techniciens et réalisateurs...), etc.

Bref se battre ENFIN ENSEMBLE contre nos vrais ennemis qui tuent la création et la diversité, au lieu de vous associer à cette cabale honteuse qui nous divise durablement et discrédite gravement l’image des réalisateurs auprès des techniciens (nos collaborateurs artistiques, ne l’oubliez jamais !) Vous aurez belle mine ensuite d’aller leur demander de « faire (encore) des efforts » sur vos prochains films ! Vous allez voir comment ils vont vous envoyer balader !

Franchement je trouve la position de ce « putch » (qui s’autoproclame la « Voix des Réalisateurs ») TOTALEMENT IRRESPONSABLE : à tous points de vue ! Incompréhensible aussi pour le grand public qui ne comprend plus comment des élites, dites « de gauche », se battent contre des minima sociaux quand toute la société autour, sinistrée par la crise, essaye au contraire d’en arracher !

Votre position est pitoyable : je vous le redis en toute sincérité. Et ne me reprochez pas d’enrager ! Oui J’ENRAGE de voir une telle cécité politique, un telle position objective de soutien à l’APC/MÉDEF quand il faudrait au contraire créer l’unité de TOUS (ouvriers, techniciens, réalisateurs, producteurs indépendants) pour transformer ce système pourri prétendument « vertueux » (dixit notre ministre de la Culture ?!)

J’enrage et je ne me gênerai pas de le dire !

Jean-Pierre Thorn (cinéaste)
Paris le 7 juin 2013

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