Association Française des Assistants Réalisateurs de fiction

Semaine du cinéma chilien : du 12 au 16 juin 2019 à la Cinémathèque

4 juin 2019 | par Antonia Olivares
afar.cc/2677

2019 : l’année du cinéma chilien.


Depuis une décennie, la création cinématographique chilienne vit un renouveau qui se traduit par une présence remarquée dans les palmarès internationaux : des films chiliens ont ainsi reçu l’Ours d’argent au festival de Berlin (Gloria en 2013 et El Club en 2015), le Léopard de la meilleure réalisation à Locarno (Tarde para morir joven en 2018) et l’Oscar du meilleur film étranger (Una mujer fantástica en 2018). Une évolution retracée dans cette rétrospective en dix films dont les auteurs (Sebastián Lelio, Pablo Larraín, Andrés Wood, Fernando Guzzoni, Dominga Sotomayor,...), ayant passé le cap des premières œuvres, manifestent un évident aplomb créateur. Chacun à leur manière, ces dix films témoignent aussi d’une fracture historique et sociale encore à vif.

L’année 2019 marque également les dix ans d’existence de Cinemachile, l’organisme chargé de la promotion et de la diffusion du cinéma chilien dans le monde. Pour célébrer cet anniversaire, Cinemachile créé l’évènement avec La Semaine du Cinéma Chilien, conçue par un collège de dix programmateurs (dont la Cinémathèque française). Elle se tiendra également à Madrid, Berlin, et Los Angeles.

LA DIVISION SOCIALE

Dans le cinéma chilien d’aujourd’hui, il est rare de voir deux personnages discuter d’égal à égal. Cela n’arrive que s’ils appartiennent à la même élite – le groupe de politiciens de No de Pablo Larraín –, ou s’ils portent le poids des mêmes péchés – les prêtres d’El Club, du même Larraín. Plus souvent, on y trouvera un personnage en position de pouvoir envers un autre. Il peut tenir ce pouvoir de sa classe sociale, de son argent, ou l’avoir accumulé illicitement sous la dictature de Pinochet (1973-1990) et continuer d’en jouir en toute impunité.

Dans La Nana de Sebastián Silva, la hiérarchie sociale est implicite dans le rôle d’employée de maison de Raquel, l’héroïne. Elle parvient toutefois à s’accaparer elle aussi une part de pouvoir en soumettant les autres domestiques à son autoritarisme névrotique. Lorsque les employées s’absentent de la maison, elle verrouille les portes pour les laisser à l’extérieur. Le bannissement comme stratégie de domination.

La division sociale mise en place sous la dictature est parfaitement décrite dans Lucía, le premier long métrage de Niles Atallah. Luis et sa fille Lucía vivent pauvrement dans une métropole, Santiago, qui n’a rien d’autre à leur offrir que les mirages du consumérisme. Au moment des Fêtes, un médecin offre à Luis de se déguiser en Père Noël pour distribuer les cadeaux à sa famille. Ce médecin est un ancien tortionnaire qui mène une vie bourgeoise et jouit de tous les avantages d’une société sans justice dans laquelle Luis et Lucía doivent se résoudre à jouer les bouffons tristes – une métaphore exposée sans détour par le cinéaste.

La violence sociale traverse Matar a un hombre d’Alejandro Fernández Almendras, mais elle se joue ici directement entre les laissés pour compte du système néolibéral. Dans un quartier de banlieue, une famille est harcelée par un délinquant du voisinage. Faute de pouvoir compter sur la police, le père décide de faire justice lui-même. Avec une précision sèche, Fernández Almendras montre la détresse et la désolation morale qui accompagnent la destruction du sens de la communauté. Ces films se font l’écho de la dévastation sociale orchestrée sous la férule de Pinochet, lequel apparaît fort justement en ordure impeccablement costumée et cravatée dans No, le film sur le plébiscite de 1988 qui finit par le chasser du pouvoir.

IDENTITÉ, LIBERTÉ, DIVERSITÉ

En observateur aigu des évolutions de la société, Pablo Larraín annonçait dans El Club (2014) la crise majeure qui secoue actuellement l’Église catholique au Chili. Le film raconte la mise à l’écart d’un groupe de religieux coupables de crimes et d’abus sexuels. Retenus dans une maison d’une ville côtière éloignée sous la garde d’une nonne corrompue, les prêtres subissent un effondrement progressif et le harcèlement incessant d’un ancien paroissien qui monopolise leur attention. Cette spirale culmine en une séquence d’une intensité vertigineuse, l’une des plus fortes tournées par Larraín.

Plus conventionnel par sa forme de biopic, Violeta (2011) évoque la vie passionnée de Violeta Parra (1917-1967), la plus importante auteure-compositrice-interprète chilienne. Par les paroles simples mais profondes de ses chansons, par sa vie sentimentale orageuse, Violeta défie l’ordre établi et l’oligarchie en luttant pour la justice sociale et les droits du peuple mapuche. Le film d’Andrés Wood lui redonne vie grâce à la performance exceptionnelle de Francisca Gavilán, qui interprète elle-même toutes les chansons. Gloria, l’héroïne du quatrième long métrage de Sebastián Lelio, déborde elle aussi de vie à l’écran. Paulina García incarne une femme de soixante ans qui, voulant continuer à connaître le plaisir, la jouissance et l’amour, se dresse contre les normes que la société impose à l’âge mûr. Son parcours est rythmé de nombreuses chansons, comme si la musique pouvait lui insuffler la force vitale dont elle a besoin.

Lelio réitère cette affirmation d’identité et de liberté individuelle dans Une femme fantastique avec le personnage de Marina, transsexuelle interprétée par une actrice elle-même trans, Daniela Vega. Marina vit une histoire d’amour avec un homme plus âgé, Orlando, une situation que l’ex-femme de celui-ci n’accepte pas. Ce rejet est le déclencheur d’un cheminement personnel vers l’affirmation de son corps et de la douleur. La diversité sexuelle est également le sujet de Jesús, petit criminel (2016), second long métrage de Fernando Guzzoni, film aux accents tragiques inspiré par le meurtre homophobe de Daniel Zamudio à Santiago en 2012. Jesús est un jeune homme qui aime danser avec ses amis sur de la K-pop, connaît ses premières expériences homosexuelles, et entretient des rapports conflictuels avec son père. Cette difficile relation père-fils est au cœur d’un film au dénouement bouleversant.

Tarde para morir joven, de Dominga Sotomayor, est un film brillamment mis en scène dans lequel la réalisatrice poursuit sa recherche stylistique, sous le signe d’une trompeuse transparence de la réalité. Elle porte ici son regard sur une génération en quête d’utopie, avide de vivre libre et heureuse à l’écart d’un ordre établi symbolisé par la capitale, constamment visible au loin. Sur les contreforts de la cordillère des Andes, des familles néo-hippies achètent un terrain pour fonder une communauté. Nous sommes à l’approche du Nouvel An 1990 – date annonçant le retour imminent à la démocratie –, et dans cet embryon de paradis rustique, chacun a quelque chose à donner. Parmi eux, Sofía, une jeune fille, s’apprête à vivre son éveil à la sexualité.

Une nouvelle ère s’ouvre : c’est l’éclosion d’une société chilienne toujours tenaillée par ses contradictions, sous le regard d’une génération de cinéastes d’une très stimulante maturité.

René Naranjo Sotomayor


Voir en ligne : Article sur le site de la Cinémathèque


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